3 Octobre 2019
6 mois.
C’était vital.
Vital de me retrouver. Vital de ne pas être que la maman qui est toujours là.
Vital d’avoir du temps pour moi.
Être mère au foyer c’est pas facile.
Tu cours pas moins. Tu pleures tout autant. T’en baves tout autant. Tu dors pas plus. Mais tu n’as pas le droit de te plaindre... tu bosses pas.
Tu n’existes pas socialement mais les regards sont d’autant plus jugeant.
Tu n’es que mère, presque plus femme.
Tu peux être féminine, tu peux être féministe mais se retrouver soi, comme avant la charge maternelle, semble être inaccessible.
Tu peux faire semblant mais tu coupes jamais.
Tu passes pour celle qui se fait entretenir même si tu ramènes ta part... Mais tu travailles pas.
Tu tente de te sociabiliser mais toi ton taf c’est de faire grandir la marmaille pas de participer à l’économie nationale... Jamais on ne te demande comment se passe ton quotidien, comme on le demanderait à quelqu’un qui bosse.
Tu es mère alors nécessairement ta vie est inintéressante et se résume à torcher des mioches et à plier le linge...
Pourtant elle est riche cette vie de femme au foyer !
Elle est riche mais il n’y a jamais de pause. Tu sais la pause café clope avec les collègues où tu balances sur le boss et sur la tournure que prend l’entreprise. Ça, t’as pas quand tu es mère au foyer.
Allez tu as peut-être les dix bonjours échangés avec les autres parents de l’école, le point parents d’élèves en colère contre la maîtresse sur le parking... Mais t’es toujours dans la marmaille.
Tu ne penses pas que pour toi.
Tu ne l’as plus vraiment ça.
Être juste toi, comme avant...
Alors tu te raccroches à des petits trucs. Des relations qui n’ont pas de sens . Tu sociabilises avec des gens comme toi, enfermés dans leur monde mais qui voyagent au travers d’un écran. C’est souvent passager. Tu as beau parler émotions et galères du quotidien, ce n’est qu’un exutoire ; il n’y a pas d’attache, il n’y a pas le contact. Le vrai.
Il y a bien ces réseaux de daronnes dans le même cas que toi, mais tu restes toujours la mère qui ne vit que par les siens.
Tu étouffes.
Un peu plus chaque jours.
Jusqu’à accepter cette place.
Tu sais que tu es tout pour le foyer comme le mur porteur de ta baraque que tu passes ton temps à organiser même si personne ne le voit.
Tu deviens transparente.
Tu te noies dans un quotidien où on ne te vois plus tellement c’est devenu banal que tu portes tout.
Pourtant au fond de ton cœur, ça hurle.
Ça se débat pour ne pas être réduite qu’à ça : être mère.
Mais la spirale infernale du quotidien camoufle ces cris.
Des fois t’en peux plus. Tu te plains. Alors on te dit :
« mais bouge toi ! Va bosser ! »
La réponse facile.
Essaye de virer le mur porteur de ta maison, tu verras le taf que c’est de le remplacer sans que tout s’écroule ! Il ne suffit pas d’acheter une poutre IPN !
Mais tu sais qu’au fond de toi ils ont raison... Il te faut cette ouverture sur le monde, même si le monde actuel tu ne le comprends plus...
Alors je l’ai fait. J’ai cassé le mur porteur pour me retrouver. J’ai même pas pris le temps de mettre en place une poutre IPN. J’ai tous misé sur le partage des tâches.
J’avais besoin de prendre l’air, de respirer que pour moi par moi.
Tout s’est écroulé.
Huit ans que je tenais tout.
Mais c’était nécessaire. Le mur porteur se fissurait, il fallait faire des travaux avant qu’il ne s’effondre sournoisement en embarquant tout le monde.
Les travaux de consolidation ont été longs et difficiles. La famille en chantier a dû réapprendre à s’organiser différemment... C’est que finalement, un mur porteur c’est vachement important pour soutenir tout un foyer.
Il a fallu palier.
J’ai vu que tout le monde en bavait mais je n’ai pas culpabilisé. J’ai été égoïste.
Ça faisait longtemps. J’ai pensé à moi.
J’ai retrouvé cette liberté que j’ai perdue ce jour où je me suis rendue compte qu’être mère c’était ne plus jamais avoir le temps de prendre une douche, au calme, sans avoir le ventre noué par les pleurs de ton bébé qui a besoin de toi.
Et là. D’un coup, j’ai eu le sentiment d’exister de nouveau !
Je n’étais plus que leur mère.
Je pouvais prendre ma pause déjeuner en ne pensant qu’à moi. Je pouvais le temps de ma pause ne penser et ne faire que ce qui me faisait envie. J’ai pu m’investir dans cette jolie boutique et mettre un peu de côté ma charge maternelle. J’ai fait des pauses café-clope-papotte. J’ai retrouvé ce temps pour moi, ce sas de décompression en rentrant du taf ; ce moment que je kiffais tellement quand je n’avais qu’un enfant d’un an et une maison en location.
Notre couple a pris cher.
Les enfants se sont adaptés. C’est magique les enfants, ça sait toujours voir l’essentiel :
« maman, on s’en fout nous, on est content que tu sois heureuse. On est content que tu vas mieux même si c’est pas pareil. »
J’ai été fatiguée différemment, j’ai couru différemment et j’ai appris à jongler entre ma vie de femme active et ma vie de mère, mais j’ai kiffé être légitime d’avoir du temps pour moi.
J’ai réappris à prendre du temps...
Du vrai temps pour moi.
Il aura fallu quatre mois de gros travaux et de remise à niveau.
Des yeux se sont ouverts, des cœurs se sont réparés.
Les tâches de la mère au foyer sont devenues plus concrètes. L’équilibre réclamé pendant 8 ans s’est, petit à petit, mis en place.
Le foyer n’a plus la même allure. Les travaux de rénovation ont fait du bien.
Fin de saison.
J’avais peur. Peur de me perdre à nouveau dans ce rôle de mère au foyer, mais en même temps avec l’école qui reprenait je savais que ma marmaille avait besoin de me retrouver.
J’ai alors vu le taf qu’on a réalisé tous les cinq cet été...
J’ai vu cette ouverture que j’avais créée en virant le mur porteur, j’ai vu tout ce boulot qu’il a fait pour consolider le manque.
On a finalement renforcé tout ça avec une belle poutre IPN... Ça va me permettre de pouvoir continuer à prendre du temps pour moi sans que tout s’écroule.
On a changé quelques détails du quotidien pour continuer sur la lancée.
Et j’ai repris ma place avec panache !
Je sais que j’ai cette ouverture... J’ai moins peur d’étouffer.
Alors maintenant, je bosserai pendant les vacances scolaires et je ferai les saisons. Ça me laisse du temps pour être celle que j’ai envie d’être tout en étant celle dont ils ont besoin... Parce que je sais que la routine je ne peux pas.
La routine, je n’ai jamais pu !
Je ne suis pas qu’une maman. Je suis une femme qui a besoin d’être, sans se soumettre à cette charge maternelle qui nous fout dans des cases qui font mal. J’aime être mère, mais je veux être la mère que j’ai envie d’être, pas un copier coller de cette mère parfaite fantasmée !
Et tu sais quoi ?
Même s’ils mangent plus souvent à la cantine, que j’ai repris à fumer et que je sors un peu plus, ils m’aiment quand même !
C’est qu’avoir une maman qui va bien, ça vaut tout les cadeaux du monde...
(c’est ma fille qui me l’a dit !)